Yvette et Roland THOMAS

Oumh’r savait qu’un vieux mâle ne se laissait jamais approcher ni écarter du troupeau, encore moins tuer d’un seul coup de bâton à piquer. Iark avait dû trouver par hasard un vieux cornu agonisant, abandonné par le troupeau qu’il ne pouvait suivre et l’avait achevé. Mais le clan, ventre plein, était tout disposé à croire le récit enjolivé de Iark. Chacun rêvait d’abattre un cornu et le récit devenait réel avec la chair qui grésillait et sentait si bon sur le foyer.

Oumh’r était ulcéré. Déjà rassasié par les trois énormes bouchées qu’il venait d’engloutir, il se dressa et interpellant Iark, lui demanda comment un troupeau de cornus avait bien pu passer en cette période où le froid était déjà avancé. Iark se dressa à son tour et répondit que c’était ainsi et qu’il ne servait à rien d’aller chercher bien loin ce qui se trouvait à portée. Oumh’r tenta alors de conter comment ses deux compagnons et lui-même partis sur les traces des cornus avaient du s’éloigner à plusieurs jours de marche de l’abri sans trouver la moindre trace. Il conta comment ils avaient réussi à échapper aux hou’ous, comment ils les avaient attirés vers la harde des groïnks, comment le vieux mâle était venu sauver sa femelle et ses petits, mettant en pièces les hou’ous et comment ses compagnons et lui-même avaient pu l’achever avec leurs bâtons à piquer. Il montra les dépouilles déposées près de l’entrée, leurs difficultés pour les transporter, ce qu’ils avaient suspendu et qu’il faudrait aller chercher. Il fit les gestes des combats, hurla leurs cris, revivant ainsi chaque minute pour la transmettre aux membres du clan.

Mais le clan avait le ventre plein. Le récit de Iark suffisait à ses oreilles. Oumh’r était un grand chasseur mais Iark avait tué un cornu. On l’écoutait à peine. Oumh’r gronda. Il jeta dans le foyer le reste de la viande et, tournant le dos au clan, se dirigea vers le coin de la grotte, non loin de là, où il avait coutume de s’étendre. Iark hurla de rage. Il se précipita vers le coin qu’occupait Oumh’r, bâton à piquer brandi, le corps tremblant de tension. Il plaqua la main sans bâton, la main inutile, contre la paroi de la grotte et cria qu’il était le meilleur chasseur du clan, qu’il avait traqué et tué le cornu, que le clan pourrait toujours remplir son ventre grâce à lui, et qu’il avait ainsi droit à une place pour lui et ses femelles, près du foyer central, et qu’il choisissait cette place là, marquée par sa main.

Oumh’r rugit. Il saisit son bâton à frapper, à l’extrémité armée d’une lourde pierre, et à toute volée, bondissant sur son adversaire, il fracassa la main posée sur la paroi. Iark hurla mais de douleur cette fois. Pâle et tremblant, il regardait sa main ensanglantée de laquelle deux doigts avaient été tranchés net. Le sang giclait de la blessure.

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