Yvette et Roland THOMAS

Alors Nam se dressa. Tenant en main un brandon du foyer, il l’appliqua sur la main blessée de Iark pour arrêter le sang. Celui-ci glapit, plus de dépit que de douleur. Le vieux chef arrêtait le combat, désignant ainsi son vainqueur : Oumh’r. Iark se voyait interdire toute riposte, sous peine de bannissement du clan.

Puis Nam se dirigea vers l’endroit où Niourk le Shaman, gardait ses plantes et ses terres de couleur. Il saisit un pot de terre brune et un bâton à appliquer. Il revint vers le lieu du conflit. Saisissant la main inutile de Oumh’r, il l’appliqua sur la paroi de la grotte et en dessina le contour avec le bâton à appliquer. Puis, saisissant la main mutilée de Iark, il l’entraîna vers un coin reculé de la grotte, l’appliqua à la paroi, et en dessina le contour de la même façon avec les doigts manquants. Nam avait ainsi marqué la position de chacun dans le clan.

Nam, sans le savoir, donnait ainsi naissance à une coutume qui devait se perpétuer. Le rang de chacun dans le clan fut ensuite déterminé par des combats rituels où seule la main inutile devait être visée. Le chef des chasseurs, celui qui gardait la place près du foyer central était toujours celui qui avait su garder sa main gauche intacte. Les autres devaient marquer leur territoire dans la grotte de l’empreinte de leur main.



(Plusieurs dizaines de milliers d’années plus tard, je visitai la grotte de Gargasse avec quelques amis. Le guide nous présenta alors le mystère des mains de Gargasse, ces mains gauches peintes partout dans la grotte avec des mutilations diverses. Ce jeune homme, fort sympathique par ailleurs, nous exposa ensuite les trois hypothèses généralement retenues pour expliquer le mystère. Ces hypothèses, que j’ai d’ailleurs oubliées, sont de peu d’importance. Le jeune guide ignorait que voilà bien, bien longtemps, pour résoudre un conflit dans le clan des Nams, que nous appelons aujourd’hui du doux nom de Cro-Magnon, le vieux Nam inventa la notion de propriété territoriale, et le système de bornage(*) associé, notion qui devait répandre ses bienfaits sur la terre entière, avec le succès que l’on sait, jusqu’à notre époque moderne).



* - Au début du XXème siècle, dans la région des monts du Forez, lorsque deux paysans voulaient borner un champ, ils emmenaient avec eux un jeune garçon de six ou sept ans. Lorsqu’ils s’étaient mis d’accord et avaient planté la borne, ils lui donnaient une bonne paire de claque pour qu’il se souvienne toujours de l’occasion et de l’endroit. (Chroniques du Forez)

PAge 6 / 6