Alors Nam se dressa. Tenant en main un brandon du foyer,
il l’appliqua sur la main blessée de Iark pour arrêter le sang.
Celui-ci glapit, plus de dépit que de douleur. Le vieux chef
arrêtait le combat, désignant ainsi son vainqueur : Oumh’r. Iark
se voyait interdire toute riposte, sous peine de bannissement du
clan.
Puis Nam se dirigea vers l’endroit où Niourk le
Shaman, gardait ses plantes et ses terres de couleur. Il saisit un
pot de terre brune et un bâton à appliquer. Il revint vers le lieu
du conflit. Saisissant la main inutile de Oumh’r, il l’appliqua
sur la paroi de la grotte et en dessina le contour avec le bâton à
appliquer. Puis, saisissant la main mutilée de Iark, il l’entraîna
vers un coin reculé de la grotte, l’appliqua à la paroi, et en
dessina le contour de la même façon avec les doigts manquants. Nam
avait ainsi marqué la position de chacun dans le clan.
Nam, sans le savoir, donnait ainsi naissance à une
coutume qui devait se perpétuer. Le rang de chacun dans le clan fut
ensuite déterminé par des combats rituels où seule la main inutile
devait être visée. Le chef des chasseurs, celui qui gardait la
place près du foyer central était toujours celui qui avait su
garder sa main gauche intacte. Les autres devaient marquer leur
territoire dans la grotte de l’empreinte de leur main.
(Plusieurs dizaines de milliers d’années plus tard,
je visitai la grotte de Gargasse avec quelques amis. Le guide nous
présenta alors le mystère des mains de Gargasse, ces mains
gauches peintes partout dans la grotte avec des mutilations
diverses. Ce jeune homme, fort sympathique par ailleurs, nous exposa
ensuite les trois hypothèses généralement retenues pour expliquer
le mystère. Ces hypothèses, que j’ai d’ailleurs oubliées, sont
de peu d’importance. Le jeune guide ignorait que voilà bien, bien
longtemps, pour résoudre un conflit dans le clan des Nams, que nous
appelons aujourd’hui du doux nom de Cro-Magnon, le vieux Nam
inventa la notion de propriété territoriale, et le système de
bornage(*) associé, notion qui devait répandre ses bienfaits sur la
terre entière, avec le succès que l’on sait, jusqu’à notre
époque moderne).
* - Au début du XXème siècle, dans la région des
monts du Forez, lorsque deux paysans voulaient borner un champ, ils
emmenaient avec eux un jeune garçon de six ou sept ans. Lorsqu’ils
s’étaient mis d’accord et avaient planté la borne, ils lui
donnaient une bonne paire de claque pour qu’il se souvienne
toujours de l’occasion et de l’endroit. (Chroniques du
Forez) |